Place
N°1 - Janvier/January 2019

Jan Baetens

Extraits du cycle Hôtel H.

Ce n’était pas le souvenir

Qu’il voulait en garder.

Les rideaux étaient tirés,

Les volets clos. On croyait

Entendre une fenêtre,

Ouverte et lointaine.

D’ailleurs la chambre

Ne donnait sur rien.

Une courte cour, de

Main aucune, surface

À peine de réparation.

Le tout pour l’agrément,

En sa mourante saison,

Du voyageur du Nord.

 

 

 

 

Chambre, paysage, salon, dédale,

Ce n’est pas dans les mots qu’on se perd

Mais dans les mots des choses

En cette fin d’arrière-saison,

Ce presque encore septembre,

La mort s’en allant

En quasi-tableau de fleurs

Imitant qui le chevreuil qui la hase du fabliau.

Je n’aime plus

L’Italie ni le saltimbanque

Et le fard à ma bouche.

Mais de toutes celles des raisons

Qui me rappellent, celle qui demeure ici

Est la saison du sentiment.

 

 

 

 

L’hôtel comme la vie compte le temps,

Les jours, les heures, jamais

Les années qu’on nous donne

Le droit de gaspiller

Jusqu’à plus fin. Mais l’hôtel,

Quitte à en dire trop,

Est bavard ; et l’existence, taciturne.

Telle est la vie que nous menons

À l’hôtel : le dû exactement donné,

Les compteurs sans cesse remis à zéro,

La balance des entrées et des sorties.

Et quand la vie nous reprend,

Éloquente tout d’un coup,

On pille le tronc des pauvres.

 

 

 

 

Aveugle, analphabète,

La chambre naît quand tu y entres.

Elle a tout de suite ton âge.

Elle vivra un jour et une nuit

Comme les insectes mort-nés

Qui rêvent encore

De la chambre d’à côté,

Accueillante, amidonnée,.

La chambre fête ton anniversaire,

Comme les Romains

Avec leurs chats et leurs escargots.

Mais à la fin tu manqueras de temps

Et malgré tes calculs

Aucune chambre ne te survivra.

 

 

 

 

À l’entrée, une signature à imiter,

Puis des mots, des listes, des langues,

Sur le palier des livres mal oubliés,

Enfin le papier sans en-tête.

L’hôtel d’avant-hier est encore là

Comme le journal d’hier.

On a compté et recompté les morts,

Tous à leur place maintenant,

Et le rapport est contresigné.

Me voici, anonyme paradoxal,

Au pied du miroir.

C’est un plaisir

De ne pas rendre la clé

Pour ne plus jamais disparaître.

 

 

 

 

On repasse devant cette rue sans la trouver,

Devant cet hôtel, cette chambre, cette porte,

Qui parlent bas la langue des plis,

L’idée du coude et de l’étoffe,

L’arrangement d’un ordre en route

Qu’on finit par ne plus chercher

Et connaître comme l’horizon,

La langue qu’on désespère

D’amoindrir en l’apprenant,

Les pieds placés repère après repère,

Main immobile sur main courante,

Aveuglé et botté, en retard

Déjà de l’esprit de l’escalier.

Ressassé, reperdu, neuf.